Le Coeur Régulier, Olivier Adam
Editions de l'Olivier, 232 pages
Le jour où Nathan avait croisé sa route, il y a huit mois de ce la, Natsume Dombori n'était pas encore devenu ce héros national, cette célébrité. Il a fallu qu'il pose sa main sur l'épaule d'un journaliste au bord du gouffre, qu'il le ramène chez lui, le garde quelques semaines, lui offre le gîte, le couvert et sa patiente écoute, et que ce dernier croie bon de raconter tout cela dans le journal qui l'employait, sans omettre de préciser qu'il était loin d'être le premier à avoir ainsi été sauvé, recueilli et soigné. Hiromi affirme que depuis que cet ancien flic du district s'est fixé la mission de décourager les candidats au suicide et de les prendre sous son aile, soit trois ans maintenant, le nombre de morts volontaires a diminué de moitié. J'ignore d'où elle tient cela, si des statistiques existent, si elle les tient elle-même.
C'est un livre qui m'a fait tellement d'effet que je ne sais pas vraiment par où commencer ni si je saurais trouver les mots justes pour vous décrire mes impressions de lecture... Je vais sûrement très mal en parler, mais après réflexion, je pense qu'il vaut mieux mal en parler et tenter de vous le faire connaître que de ne pas en parler du tout.
Je vais donc démarrer par la conclusion (logique, n'est-ce pas?) : c'est un roman absolument MA-GNI-FIQUE qu'il faut absolument que vous lisiez si vous en avez l'occasion !!
Le lecteur se plonge directement dans les pensées d'une jeune femme, Sarah, mère de deux beaux enfants, au père attentif, une grande maison dans un quartier résidentiel; bref, une vie rangée, agréable, parfaite, "trop parfaite" même, selon ses dires. Mais au milieu de cette vie trop longtemps fardée, son frère, Nathan, son jumeau presque, tant ils ont partagé leur enfance et leurs idées, fait irruption avec son mal-être et son insistance. Il n'apprécie pas le mari, Paul, chose réciproque, et Sarah l'écarte peu à peu de sa vie.
Seulement, quand Nathan meurt - accident de voiture, suicide ? - Sarah est sous le choc. Elle réalise qu'elle ne connaissait que trop peu de choses de lui, excepté qu'il était parti au Japon un peu plus tôt et qu'il en était revenu transformé, heureux.
Réalisant du même coup que son foyer est froid, faux, elle s'enfuit au Japon sur les traces de son frère afin de comprendre ce qu'il était devenu, de le redécouvrir en même temps qu'elle fait le point sur sa propre vie et qu'elle se redécouvre elle-même.
Tojinbo, village japonais où se déroule l'histoire
Dans la salle il n'y a plus personne, juste la patronne qui débarasse les tables puis les fait reluire à l'aide d'un chiffon. Ses gestes sont vifs et légers, comme déconnectés de son corps, sa silhouette un peu raide, son visage tendu. Elle me propose une dernière tasse de café, un bol de thé vert. Je la remercie et, pour la première fois depuis que je suis ici, j'ose sortir de ma poche la photo de Nathan. Elle rit en le voyant et ça me fait un bien fou d'entendre ce rire, ça me fait un bien fou d e savoir que quelqu'un qui l'a croisé peut rire à son souvenir. Dans son anglais rudimentaire elle me dit que oui, elle s'en souvient, il est resté quinze jours chez elle, il était toujours saoul, en train de chanter et de rire ou de pleurer, "a very strange and very kind man". "C'est mon frère", lui dis-je. Mon frère. Je répète plusieurs fois ces mots, aussitôt les murs et le sol les engloutissent, à peine prononcés ils disparaissent, absorbés par le silence mat. Elle me prend les mains et me les serre, les siennes sont petites et comme couvertes de talc. Ses yeux brillent et son visage est d'une bienveillance grave et douce. On dirait qu'elle me présente ses condoléances. Comment peut-elle savoir ? Qu'a-t-elle bien pu deviner ? Elle se penche vers moi et me glisse à l'oreille, sans me lâcher les mains :
- Don't go see cliffs again. Not good for you.
C'est une très belle ode à la fraternié, à l'amour, à la sensibilité. On suit l'évolution psychologique de Sarah, les découvertes qu'elle fait sur son frère, elle le revoit vivre une dernière fois. Son avancée, plongée au coeur d'un Japon apaisant et quotidien, est entrecoupée de ses souvenirs qui percent les apparences, dévoilant les difficiles vérités refoulées.
Le style est magnifique, mélancolique, les descriptions sont belles, lyriques, rythmées, on se laisse porter le long des sentiments fraternels, des regrets, tout en restant dans un ton juste, jamais mièvre ou exagéré.
Mais au-delà se retrouve un élan d'espoir en l'homme - ou plus précisément en son prochain, en celui que l'on croise dans la rue qui cache ses faiblesses et que l'on a envie d'aider - à travers le personnage de Natsume notamment, discret et peu loquace, qui donne toute sa profondeur au roman.
Finalement, "Le coeur régulier" c'est se retrouver dans ses sentiments et dans le coeur des autres, c'est dévoiler le non-dit, comprendre sans même se servir des mots (il n'y a d'ailleurs que très peu de dialogues et la barrière de la langue n'en est finalement plus une), tout passe par l'émotion, les sens, la présence de l'autre à ses côtés (ou non) lorsqu'il y en a besoin, c'est retrouver son rythme, un battement paisible.
Je n'ai pas vraiment su vous dire à quel point ce livre m'a touché, puisque j'en ai même dû arrêter ma lecture à plusieurs reprises pour avoir le temps de digérer certaines révélations ou scènes imposantes, et j'aurais aimé vous raconter bien plus (surtout sur le Japon très justement dépeint), mais le mieux c'est que vous alliez le dévorer dès que vous pouvez !!
Personnellement, je compte très vite continuer à découvrir cet auteur que je ne connaissais pas (non, je n'ai jamais lu/vu "Je vais bien, ne t'en fais pas", mais ça ne saurait tarder!), et comme j'ai vu qu'il était dans la sélection pour le Goncourt, je lui souhaite de réussir !
Un petit passage dans "La Grande Librairie", où Olivier Adam interrogé par François Busnel saura vous donner bien plus envie ! (Il vous suffit de cliquer ici)